La RDC annonce la création de la plus grande réserve « communautaire » au monde : que faut-il faire maintenant ?
22 janvier 2025
Lors du Forum économique mondial de Davos, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a annoncé la création d'une des plus grandes zones protégées du monde, couvrant plus de 540 000 km², soit une superficie équivalente à celle de la France. S'étendant de Beni, à l'est du pays, le long de la RN4 et du bassin du fleuve Congo, jusqu'à Kinshasa, au sud-ouest, le Couloir Vert pourrait avoir des répercussions considérables sur les forêts et les tourbières du pays, ainsi que sur les quelque 31 millions de personnes qui vivent dans cette zone.
Créée par un décret ministériel adopté le 15 janvier 2025 et définie par un nouveau concept d'« aire protégée gérée par la communauté », la réserve vise à protéger plus de 100 000 km² de forêts primaires, 60 000 km² de tourbières et cherche spécifiquement à atténuer les risques de déforestation posés par la reconstruction de la RN4 entre Beni et Kisangani qui traversera des forêts tropicales intactes et le site du patrimoine mondial de l'UNESCO, la réserve d'Okapis.L'initiative vise également à catalyser une économie verte et à renforcer la sécurité alimentaire en RDC grâce à des projets de transformation agricole, de microfinance et d'énergie renouvelable, notamment par le biais d'incitations fiscales et de mesures visant à promouvoir le développement communautaire.
Plusieurs mesures progressistes ont été intégrées au décret, comme l'obligation pour les grands projets de développement et de conservation dans la zone d'obtenir le consentement libre, préalable et informé (CLPI) des peuples autochtones et des autres communautés locales touchées (article 5), ainsi que des orientations en matière de cartographie participative et de gouvernance, de mise en place de mécanismes de réclamation et de réparation et de transparence dans l'utilisation des fonds (article 9).
Il s'agit là d'innovations notables et de garanties potentielles pour les droits des communautés forestières, mais plusieurs défis et lacunes subsistent, notamment :
La nécessité d'un processus participatif : Jusqu'à présent, les communautés locales, la société civile, le secteur privé ou même les autorités locales n'ont guère été consultés sur la création de la réserve, ce qui a conduit à un examen insuffisant du projet et à des spéculations sur ses véritables objectifs. Alors que l'article 4 du décret stipule explicitement que la réserve n'affecte pas les droits et usages préexistants et que les règles et décisions seront élaborées par le biais de consultations, la priorité doit maintenant être donnée à l'élaboration d'une feuille de route complète pour la mise en place d'une structure de gestion participative, assurant la cohérence avec les politiques et les réformes de gouvernance en cours, notamment en matière d'aménagement du territoire et de foresterie communautaire.
La gouvernance et le cadre institutionnel : la désignation de l'ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature) comme principal organe de gestion de la réserve soulève d'importantes questions quant à sa capacité et à son mandat. La région comprend non seulement des zones protégées, mais aussi des concessions forestières communautaires (CFCL), des terres agricoles et industrielles qui relèveraient de la compétence de différents ministères et gouvernements décentralisés. Bien qu'un organe interministériel et multipartite soit prévu et que le rôle clé de l'aménagement du territoire et des autorités locales soit reconnu, nous devons éviter de créer un modèle de gouvernance sous-développé et des systèmes administratifs parallèles qui pourraient aboutir à une prise de décision fragmentée et à des intérêts divergents.
Élaboration d'un modèle adapté aux besoins : la création de la réserve a nécessité un amendement à la loi n° 14/003 de 2014 introduisant le concept d'aire protégée gérée par la communauté. Il s'agit d'une mesure attendue depuis longtemps en RDC, car elle reconnaît le rôle vital des communautés locales et autochtones dans la conservation et marque une rupture avec le modèle de «conservation forteresse» qui prévaut dans la région. La transition vers un modèle axé sur les droits est préconisée depuis longtemps par les ONG environnementales et les organisations autochtones comme la voie la plus juste et la plus efficace pour permettre à la RDC de respecter ses engagements 30x30.
Toutefois, l'amendement juridique ne va pas assez loin dans la mesure où il ne spécifie pas les différents modèles de conservation basés sur les droits (par exemple, les forêts communautaires, les OECM), ni n'aborde l'intersection avec d'autres processus tels que la réforme de la loi foncière et le développement de la politique forestière nationale. D'autres modifications de la loi sont nécessaires pour la réconcilier avec un projet de texte existant qui a déjà été présenté au Parlement et qui a été élaboré en consultation avec la société civile pour s'assurer qu'il est aussi holistique, solide et efficace que possible.
La réserve elle-même manque actuellement de mesures claires quant à son fonctionnement spécifique en tant que réserve communautaire. Une « réserve communautaire » implique une gestion et une gouvernance actives par les communautés locales, ce qui devra être abordé dans les différents manuels prévus à l'article 9.
Le Couloir Vert ne ressemble pas non plus à une zone protégée d'un point de vue strictement juridique. Bien qu'il y ait quelques garanties notables (voir ci-dessus), il y a toujours un manque de clarté et de restrictions sur les industries extractives (exploitation forestière, minière, etc.) ou des réglementations solides pour atteindre des objectifs spécifiques dans la protection des forêts et des tourbières de manière plus générale. De même, le texte final omet des dispositions concernant le déplacement éventuel, l'expulsion forcée, la réinstallation et l'indemnisation des communautés.
Envisager des projets pilotes : parallèlement à l'élaboration du régime de gestion, il convient d'accorder la priorité aux investissements verts ciblés dans les forêts communautaires situées le long de la RN4 et dans d'autres localités stratégiques. Ces projets pilotes peuvent servir de terrains d'essai, permettant d'affiner le concept et de créer une dynamique et des effets multiplicateurs.
Le Couloir Vert pourrait représenter une opportunité significative pour la RDC de réaliser son rôle de « pays de solutions » aux crises du climat et de la biodiversité. Cependant, la réalisation de cette vision nécessite un engagement significatif avec toutes les parties prenantes, une structure de gouvernance cohérente et solide, et un accent plus fort sur les droits de l'homme. Les acteurs de la société civile congolaise fourniront dans les prochains jours une analyse plus approfondie des opportunités, des risques et de ce qui doit se passer ensuite. Leur participation et leur suivi du projet seront essentiels pour garantir que le Couloir Vert tienne ses promesses en matière de protection de l'environnement et de développement communautaire. Couloir Vert delivers on its promise of environmental protection and community development.

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