Allégations d'abus des droits humains dans un parc national géré par le WWF

28 mars 2023

Des rapports inquiétants de déplacements forcés et de violations des droits humains ont émergé autour du plus jeune parc national de la République du Congo.  

Le Centre d'Actions pour le Développement (CAD), partenaire local de la Rainforest Foundation UK, a récemment publié une enquête autour du Parc National de Ntokou Pikounda, concluant que les communautés autochtones et locales environnantes ont subi et continuent de subir de graves dommages du fait des activités de conservation.

Le parc, créé en 2013, est cogéré par le WWF depuis 2017-2018, et la situation exposée ici est pour le moins en contradiction avec les récentes politiques et engagements en matière de droits humains. Celles-ci ont été prises par l’organisation à la suite de vastes accusations d’exactions liées à ses programmes, et en réponse à l'enquête indépendante qui a suivi et les a largement confirmées.

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Page de garde

Aspect probablement le plus inquiétant, il est rapporté qu'entre 2019 et 2021, des centaines de campements de pêche qui seraient situés à l'intérieur du parc ont été détruits ou incendiés et des familles entières ont été expulsées de force, souvent violemment, par les écogardes. Les communautés interrogées, qui revendiquent depuis longtemps les terres et les rivières à l'intérieur et autour du parc et dépendent fortement de la pêche pour leur subsistance, expliquent que cela s'est produit sans consultation, sans avertissement préalable et sans aucun programme de relocalisation ou de compensation en place. 

« [des éco-gardes] arrivent au campement et tirent en l’air (tirs de sommation)... Ils nous ordonnent de déguerpir. Ils prennent nos 12 paquets de poissons et 4 pirogues puis mettent le feu au campement. Ils brûlent même nos vêtements », raconte l'un des pêcheurs cité dans le rapport.

Ces communautés disent ne pas avoir été consultées par les autorités lors de la création du parc en 2013, qui avait été impuslée par la Wildlife Conservation Society (WCS) à l'époque, et continuent de se sentir exclues des décisions les concernant.  

Les communautés décrivent être régulièrement et injustement arrêtées et sanctionnées alors qu’elles tentent simplement de subvenir à leurs besoins, et témoignagent avoir été victimes de violences physique et de mauvais traitements aux mains des écogardes, notamment avoir été privé de sommeil. On les empêche également de simplement accéder aux rivières et de circuler dans la zone. Dans un cas, les communautés ont signalé qu'une enfant malade était décédé après que les écogardes l'ont empêchée de traverser une rivière qui lui aurait permis d'atteindre un centre de santé au plus vite.

Un processus de création unilatérale

Ces déplacements forcés et les lourdes restrictions d'accès et d'utilisation des terres, des rivières et des ressources à l'intérieur du parc ont des impacts considérables sur la sécurité alimentaire et le bien-être des communautés locales qui n'ont que peu ou pas d'alternative. Cette situation alimente les tensions entre les communautés et les gestionnaires du parc, compromettant finalement le succès de la conservation.

Le CAD n'a visité qu'une petite partie du parc et ses impacts risquent donc d'être d'autant plus importants. Une enquête indépendante et approfondie devrait maintenant avoir lieu, et les conclusions rendues publiques, pour évaluer l'ampleur du problème et apporter des solutions aux communautés.    

RFUK et CAD ont porté l'affaire devant le nouveau bureau du médiateur du WWF, les exhortant à évaluer la situation conformément au Cadre de sauvegardes environnementales et sociales de l'organisation. Il convient de noter que selon l'accord de cogestion signé entre le WWF et l'autorité gouvernementale chargée de la conservation, le WWF assure la coordination de l'ensemble du personnel du parc, ce qui rend encore plus pertinente la question de la responsabilité de l'organisation. Jusqu'à présent, le WWF a été réceptif pour discuter de la situation. Il reste à voir si cet engagement conduira à un changement tangible sur le terrain.  

L'empreinte écologique des populations autour de Ntoukou Pikounda est plusieurs centaines de fois inférieure à celle d'un habitant moyen des pays du Nord. Cela soulève à nouveau la question de savoir si fustiger les gens qui extraient si peu de ressources naturelles pour leur survie est moral ou même efficace pour protéger les forêts.

3.1 La Pêcherie communautaire

Le nouveau Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal définissant les grandes lignes des efforts internationaux de conservation de cette décennie, il est clair qu’un nouveau modèle de conservation est nécessaire, qui s'attaque aux véritables moteurs de la perte de biodiversité tout en respectant les droits des communautés autochtones et locales.  

Maud Salber, Responsable Suivi et Droits chez RFUK, a déclaré :

« Alors que les politiques et déclarations en faveur des droits des communautés locales et autochtones prolifèrent dans les cercles internationaux de la conservation, cette affaire montre qu'il reste encore un long chemin à parcourir pour purger les forêts tropicales de ce modèle « conservation-forteresse » abusif et inefficace. Le WWF et les autorités doivent maintenant agir rapidement et de manière appropriée pour répondre à cette affaire et fournir réparation aux communautés concernées. »  

Le rapport du CAD fournit des recommandations pratiques pour y parvenir dans le cas de Ntokou Pikounda.  

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