Les donateurs internationaux appelés à répondre à l’affaiblissement de la gouvernance forestière en RDC

26 juin 2019

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La Rainforest Foundation UK (RFUK), ONG basée à Londres, et des groupes de la société civile congolaise appellent les bailleurs finançant des programmes de foresterie en République démocratique du Congo (RDC) à répondre à l’affaiblissement de la gouvernance forestière dans ce pays après l’acquittement soudain par un tribunal local d’une entreprise chinoise, accusée d’exploitation forestière illégale.

À la suite de signalements par les communautés locales d’une exploitation forestière illégale, réalisée de façon généralisée et à échelle industrielle, de la forêt tropicale dans la province de l’Équateur, ainsi que d’une mission de contrôle effectuée par les autorités provinciales au mois de mars de cette année, un représentant de l’entreprise chinoise d’exploitation forestière « Maniema Union 2 » a été arrêté pour « association de malfaiteurs », « destruction méchante » et « exploitation illicite de bois d’œuvre ». Celui-ci a ensuite comparu devant un tribunal à Mbandaka les mois derniers [1]. Cependant, le 22 mai 2019, le tribunal a acquitté l’entreprise de tous les chefs d’accusation, invoquant un manque de preuves ainsi que le fait que l’entreprise avait payé une « amende transactionnelle », en dépit du fait que cette « amende » avait été payée avant que la société ne soit accusée d’illégalités. [2].

La RDC présente la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, après celle du Brésil, mais ne dispose d’aucun ministre en charge des forêts depuis le changement de gouvernement de janvier 2019. Le précédent ministre a délivré des permis d’exploitation forestière pour une superficie couvrant plus de 6 000 km2, au mépris du moratoire national interdisant la délivrance de nouveaux permis.

Fabien Mungunza, président de la SOCIPEQ [3], un groupe de la société civile congolaise qui a fait appel de l'acquittement, a déclaré :

«Nous lançons un appel aux bailleurs pour qu’ils renforcent les conditions de leur financement de la foresterie en RDC et qu’ils demandent au gouvernement et aux autorités compétentes d’adopter les normes les plus élevées en termes de gouvernance forestière. De toute évidence, quelque chose ne va pas lorsque les autorités forestières ne veulent pas ou ne peuvent pas engager de poursuites dans un cas d’exploitation forestière illégale réalisée à une échelle industrielle. »".

On estime que 90 % de l’exploitation forestière ayant lieu en RDC est illégale [4]. Parmi les 57 concessions d’exploitation forestière à grande échelle en vigueur délivrées légalement en RDC, plus de trente, ce qui représente une superficie d’un peu plus de cinq millions d’hectares, ne disposent d’aucun plan de gestion valide, et ce plus de cinq ans après la signature des contrats de concession, ce qui rend leurs activités illégales [5]. En juin 2018, Maniema Union 2 a fait l’acquisition de plusieurs concessions d’exploitation forestière, en violation du moratoire établi depuis 2002 en RDC [6].

La RFUK et des organisations de la société civile congolaise ont écrit aujourd’hui aux bailleurs finançant à hauteur de plusieurs millions de dollars des programmes de réforme forestière, comme l’Initiative pour les forêts de l'Afrique centrale (CAFI, en anglais Central African Forests Initiative), le Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale (FCPF, en anglais Forest Carbon Partnership Fund) et le Programme d'investissement forestier de la Banque mondiale (FIP, en anglais Forest Investment Programme) [7]. Les auteurs de cette lettre demandent aux bailleurs de fonds de faire pression en faveur de l’engagement d’actions judiciaires appropriées contre Maniema Union 2 et les autorités locales impliquées dans l’acquittement de cette dernière [8].

Simon Counsell, le Directeur exécutif de la RFUK, a déclaré :« Nous pensons qu’essayer de faire progresser des programmes de foresterie en RDC sans exiger des avancées considérables en matière de gouvernance sera perçu comme un feu vert donné à toute violation flagrante des lois. La protection des forêts est minée par des actions illégales manifestes, que les autorités ne sanctionnent pas. Au moment où la communauté internationale cherche à relancer ses relations avec le nouveau gouvernement congolais, iI est impératif que tous les bailleurs établissent dès le départ que l’impunité pour les contrevenants à la loi forestière ne sera pas tolérée.» ,a-t-il ajouté.

Le 4 juin, un deuxième plainte contre Maniema Union 2 a été soulevée par des communautés de Bolomba, qui accusent la société d'"abattage illégal", de "destruction malveillante" et de "non-paiement des droits d'utilisation locaux".

[1] Le « Superviseur de l'Environnement du Territoire d'Ingende » a prévenu les autorités de l’existence d’une exploitation forestière illégale à grande échelle à la suite d’un signalement par un membre de la communauté du village de Loselinga (à environ 12 km d’Ingende - voir la carte) le 28 mars. Le lendemain, une mission de vérification conjointe a eu lieu avec la participation de l’administration locale, au cours de laquelle trois exploitants chinois ont été vus magnant chacun une tronçonneuse. Ces derniers disposaient également de deux véhicules chargeurs, d’un bulldozer et d’un bateau pour évacuer les grumes ; ils avaient 100 grumes en leur possession. Un représentant de la société d’exploitation forestière a été arrêté le 29 mars pour exploitation forestière illégale en dehors de la concession (qui se trouve dans le secteur de Bokatola), puisqu’elle intervenait à Dwali sans aucun permis valable. 450 grumes exploitées illégalement ont été comptabilisées.

[2] Document officiel de jugement

[3] Société Civile de la Province de l’Équateur. La mission de la SOCIPEQ est de représenter la population dans le combat pour l’amélioration de la gouvernance en RDC afin d’atteindre un développement harmonieux et inclusif.

[4] Voir le rapport L’exploitation illégale des forêts en République démocratique du Congo – Royal Institute for International Affairs (Chatham House), 2014

[5] Selon la législation de la RDC sur la foresterie, ces concessions doivent être « automatiquement résiliées et restituées à l’État ».

[6] La RDC a adopté un moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions d’exploitation forestière industrielle en 2002. Le but était alors de permettre au pays, qui sortait d’une guerre civile, de développer une exploitation forestière industrielle durable, capable en particulier de créer des emplois et de générer des recettes fiscales pour le pays. Des conditions spécifiques ont été fixées par un décret présidentiel de 2007 pour la levée de ce moratoire, mais ces conditions ne sont aujourd’hui toujours pas réunies.

[7] CAFI est une initiative du Ministère norvégien du Climat et de l'Environnement, qui vise à financer et soutenir des programmes destinés à réduire les émissions de carbone issues de la déforestation et de la dégradation des forêts en Afrique centrale, en particulier en RDC, où elle appuiera le Plan d'Investissement REDD+ du pays. Ce plan a été fortement critiqué par des groupes de défense de l'environnement, au niveau international et national. CAFI est financé à hauteur de 190 millions de dollars par le gouvernement norvégien et de 3 millions de dollars par le gouvernement français et vise à « atténuer les changements climatiques, préserver les forêts, réduire la pauvreté et contribuer au développement durable. ». Le Fonds de partenariat pour le carbone forestier est une initiative de la Banque mondiale de 1,1 milliard de dollars, en grande partie financée par les gouvernements norvégien, britannique et allemand, dont le but est de mettre en place des programmes à grande échelle destinés à réduire les émissions de carbone issues de la déforestation dans les pays pauvres. Le Programme d'investissement forestier de la Banque mondiale constitue une initiative analogue qui soutient des programmes de reforestation et de « gestion durable » des forêts afin d’aider à lutter contre le changement climatique. Toutes ces initiatives disposent de programmes à grande échelle en République démocratique du Congo, dont le coût total s’élève à 300 millions de dollars.

[8] LIEN VERS LA LETTRE.

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